Un ouvrage de plus de 700 pages consacré au Cameroun de l’après guerre jusqu’aux années 1970.


J’ai découvert le Cameroun l’année dernière lors d’un déplacement universitaire. Au delà du contact plus que positif avec le pays et sa population, j’ai voulu en savoir plus sur son histoire récente. Cet ouvrage édité aux Éditions de La Découverte en 2011 est tombé à point nommé.

Cette somme importante a été réalisé par trois auteurs:

  • Thomas Deltombe, journaliste
  • Manuel Domergue, journaliste
  • Jacob Tatsitsa, enseignant camerounais préparant sa thèse de doctorat à Yaoundé. J’imagine volontiers qu’elle devrait concerner le sujet de l’ouvrage.

En fait, j’ai deux sentiments après avoir terminé ce pavé de 700 pages:

  • tout d’abord, j’y ai appris beaucoup vue le volume d’informations et de notes fourni: c’est un gros travail d’enquête qui a été réalisé par les trois auteurs. Les sources sont nombreuses, variées, de nombreux témoignages ont été recueillis. Dont acte.
  • par contre, j’ai eu vraiment du mal à le finir ayant trouvé le ton trop militant à mon goût. J’ai régulièrement eu l’impression d’avoir un texte à charge (ça s’explique) contre la France et l’Armée Française en utilisant les canons traditionnels de l’analyse « progressiste » que je croyais ne plus voir en ce début de 21ème siècle dans un ouvrage de fond.

Dans le côté positif, l’ouvrage est très complet. Il revient sur la situation particulière du Cameroun dans l’empire colonial français: le passage de colonie allemande au protectorat confié aux puissances victorieuses suite à la première guerre mondiale: la Grande Bretagne et la France. Cette situation va largement influencer le comportement de la France jusqu’à la décolonisation car la métropole est alors sous surveillance de l’ONU concernant le dossier camerounais. Le processus de la décolonisation est bien détaillé et la mise en place d’un gouvernement et d’une administration « amis » bien décrite: la Francafrique était, en effet, en marche.

Ce qui m’a gêné: si les turpitudes causées par la puissance coloniale sont bien décrites, j’ai très vite été surpris par l’idéalisation militante du mouvement indépendantiste UPC et de ses leaders. On retrouve là les discours « progressistes » des années 60-70 autour de l’ANC de Mandela ou du FLN et de ses leaders historiques. Si lutte contre-insurrectionnelle, il y a eu avec ses pratiques usuelles (regroupement des populations, recherche du renseignement par tous les moyens, propagande), les comportements des insurgés restent flous dans quasiment tout l’ouvrage. Si les leaders indépendantistes sont glorifiés, les leaders de la Francafrique, français ou camerounais, sont toujours décrits par leurs travers idéologiques voire aussi personnels ou physiques… Bref et sans jeu de mot, c’est blanc du côté UPC et noir du côté des colonisateurs/oppresseurs/jouets de la répression…

Pour ce qui est de ma critique de fond, j’ai relevé quelques perles que je tiens à partager:

  • au sujet de l’emploi du napalm,les auteurs nous proposent: « Cette persistante odeur de napalm qui imprègne l’histoire de la guerre du Cameroun ne peut pour autant être évacuée et réduite à une simple vue de l’esprit. Surtout si l’on se souvient que l’armée française avait bien fait usage de ce type de bombes incendiaires à base d’essence en Indochine puis en Algérie. Car si nous ne possédons aucune preuve de l’utilisation de napalm au Cameroun, nous n’en n’avons pas non plus de sa… non-utilisation. L’accusation sans preuve ne doit pas, dès lors, amener à prendre pour argent comptant les dénégations systématiques des militaires français. » Belle preuve de démarche historique et non militante…
  • au sujet de l’analyse « progressiste », les auteurs commentant la visite du chef de l’état français, Georges Pompidou en 1971: « Pour l’opposition camerounaise, sous le choc de la toute fraîche affaire Ndongmo-Ouandié, c’est le coup final. Ainsi donc, la France peut venir, en tenue de soirée, déguster du caviar en l’honneur d’un dictateur au petit pied qui étouffe son peuple dans la misère, embastille ses opposants et fusille publiquement jusqu’au dernier résistant ! Dans les milieux contestataires camerounais, en particulier dans la diaspora, on comprend subitement que le néocolonialisme français en Afrique n’est pas, comme on l’avait cru trop longtemps, un phénomène conjoncturel voué à être abattu par quelques balles de fusil et balayé par le vent de l’Histoire. »

Comme on assiste à un procès en règle et uniquement à charge de l’armée française et de ses affidés, j’eus également aimé que les auteurs soient plus précis quant aux moyens engagés par Paris: effectifs et unités, opérations insurrections menées par les guérillas de l’UPC, etc etc…; car, la comparaison constante au conflit algérien tendrait à accréditer  la thèse d’une guerre réelle et permanente qui causa des dizaines – voire des centaines de milliers de morts (p 641). Mais, à en croire les auteurs, les militaires français (gendarmes compris) n’ont jamais dépassé 3.000 hommes… Faut-il rappeler que la guerre d’Algérie vit l’engagement de près de 500.000 soldats français contre moins de 50.000 fellaghas ? Que cette guerre se solda par la perte de près de 30.000 soldats français ? Si l’armée française a été aussi « efficace » au Cameroun avec si peu de moyens, on s’étonnera de son échec en Algérie… Ou alors c’est que son opposition n’était pas aussi solide que cela…

Pour résumer, je ne doute, à aucun instant, des moyens mis en œuvre par la France pour garder son emprise sur ses anciennes colonies ou ses anciens protectorats mais j’aurais aimé un ouvrage plus rigoureux sur le plan historique. Je laisserai la conclusion à Jean Lacouture que les auteurs critiquent dans sa décision de ne pas éditer, en 1972, l’ouvrage de Mongo Beti.  « Main basse sur le Cameroun ». Je les cite: D’abord proposé aux éditions du Seuil, l’ouvrage fut refusé par… Jean Lacouture, alors responsable de collection dans cette maison. « Je pense […] que le ton et la forme de ce pamphlet nuisent à vos idées et à votre cause, dans la mesure où ils ne peuvent convaincre sans arguments solides ».

Grosso modo, c’est bien ce que m’inspire cet ouvrage, je le répète important pour moi sur le sujet, mais au combien partisan dans son argumentation et dans son ton. Bref, j’attends le travail d’un historien dépassionné sur le sujet. Un jour, peut-être…

Je recommande cependant cet ouvrage pour la masse d’informations disponibles et si vous vous intéressez aux conflits de la décolonisation et à l’Afrique francophone, particulièrement au Cameroun !

Aux éditions La découverte » avec un cahier photos en n/b et 3 cartes hors texte.

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