Intéressant mais…

C’est avec plaisir que je me suis procuré cet ouvrage de Daniel Feldmann, pour la première fois solo !

J’avait beaucoup apprécié l’ouvrage de 2016 consacré à la campagne de Rhin en 1945 et co-signé avec Cédric Mas. J’avais trouvé trop synthétiques les deux précédents consacrés à Montgomery et à Rommel, toujours avec Cédric Mas.

On retrouve ici l’un des centres d’intérêt majeurs de l’auteur, les hommes qui commandent à un haut niveau. Ici, c’est celui des armées entre le niveau de corps d’armée et celui de groupe d’armée (Bradley, Montgomery).

Le thème est intéressant d’autant plus qu’il ne porte pas seulement sur des profils bien connus comme Patton et de Lattre de Tassigny mais aussi sur trois acteurs moins connus mais tout aussi importants: les Américains Patch et Hodges et le Canadien Crerar. Comme vous l’avez sans doute remarqué, tous les généraux concernés par la victoire des alliés ne sont pas au rendez-vous. Il en manque surtout chez les Britanniques. Mais l’auteur s’en explique.

Ce qui m’a d’abord surpris c’est la sentence liminaire que nous sort l’auteur: « Les bons soldats ne deviennent jamais généraux ». J’ai trouvé ça hors propos, polémique et bien faux car on peut démontrer le contraire, ne serait ce qu’avec des maréchaux d’Empire… Le « jamais » est de trop… Après lecture, ça semble être aussi le parcours de Hodges… Et cette sentence n’est pas de l’auteur mais de Delphine Mathez dont je n’ai pas trouvé trace en matière d’Histoire; juste un chef d’entreprise talentueux, une cliente du conseil en stratégie peut-être ? 😉 Bon, ce n’st qu’un détail mais il m’a alerté pour la suite de la lecture.

En fait que cherche à démontrer Daniel Feldmann ?

  • que les chefs d’armées ne sont pas tous à la hauteur ?
  • qu’ils ont bien des défauts intellectuels, de formation, de gestion des équipes, des défauts humains ?
  • que les idoles établies doivent être déboulonnées ?

En fait, rien de nouveau sous le soleil ! Evidemment, dans les démocraties, partant d’armées de temps de paix, quand les armées ne se comptent plus en dizaines mais en centaines de milliers d’hommes, point de formation préalable à ce niveau, pas d’expérience acquise, la confrontation au réel, le brouillard de guerre, l’ennemi, la fatigue, l’usure, les honneurs…, ça fait faire pas mal de bourdes !

Quand on voit d’où partent les armées américaines et canadiennes dans l’entre-deux guerres, on ne peut qu’admettre les faiblesses inhérentes aux doctrines de base, à la formation des chefs, à la montée en puissance des ordres de bataille…

Pour moi, il fallait partir de là pour construire la démonstration et couvrir la totalité des généraux concernés.

A la place, Daniel Feldmann a décidé de nous dresser les portraits successifs des cinq généraux qu’il a retenus. Ce qui fait une cinquantaine de pages pour chacun de ses sujets, c’est trop peu pour étayer la démonstration à mon sens.

De plus l’auteur tombe dans ses petits travers déjà repérés précédemment: la mise en avant de ceux des généraux qu’il étudie comme l’antisémitisme de Patton, comme l’homosexualité refoulée présumée de de Lattre qu’il balance sur le compte de Pierre Pélissier d’ailleurs (c’est sympa entre auteurs…) ou encore comme l’importance qu’il donne à sa lecture des Patton Papers dans la version originale.

Bref au final, il y a de l’intérêt dans la démarche mais un manque de profondeur dans l’analyse, la conclusion de 12 pages ne suffit pas à rattraper le tout malgré les remarques historiographiques et des notes intéressantes et souvent pertinentes.

Au final, je conclurai: un bon ouvrage de consultant en stratégie qui manque de la profondeur qu’y mettrait un chercheur en Histoire ou en stratégie militaire ! Et c’est bien dommage car les axes de recherche sont bons !

Malgré tout, achetez cet ouvrage, il vaut le coup et comme l’auteur se propose d’appliquer sa méthode aux généraux « de l’autre côté de la colline », on verra s’il améliore son angle d’attaque !

PS: je vous renvoie bien volontiers également aux recensions de Benoist Bihan et Benoît Rondeau respectivement dans Guerres & Histoire n°50 et dans 2e Guerre Mondiale thématique n°46. Vous aurez compris que je partage leurs points de vue.

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