Le 18 janvier, je recevais et présentais cet ouvrage de Cédric Mas consacré au « Renard du Désert ». Une critique, particulièrement aggressive de Laurent Henninger sur la page Facebook de « Guerres & conflits » du colonel Rémy Porte provoqua maints échanges au cours desquels Stéphane Mantoux, Benoît Rondeau et David Zambon vinrent apporter leur avis éclairé sur le sujet.
Pour ma part, je tiens à rappeler que je ne suis qu’un amateur d’histoire militaire et non un professionnel du sujet, un auteur à succès ou même un chercheur, fut-il enseignant ! C’est donc en lecteur passionné que je me suis penché sur l’ouvrage de Cédric Mas ! 😉
J’ai d’abord été surpris par son format, 160 pages, car pour une biographie d’un tel personnage, c’est court. Cédric Mas s’en est expliqué par le format imposé par l’éditeur, les éditions Economica; ce qui l’a amené, avec la participation de Daniel Feldmann, à pratiquer des coupes pour arriver à un format plus synthétique. Ce faisant, on reste évidemment sur sa faim en termes de biographie classique si on compare à celle que Benoît Lemay a consacré à Rommel (650 pages – non lue) ou à la biographie de Joukov par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri (720 pages en cours de lecture). On est donc en présence d’un exercice difficile. Pour ma part, j’y ai vu inconvénient et avantage. Inconvénient car, sur certains sujets ou passages, j’aurais souhaité en savoir plus. Par contre, cela a imposé à l’auteur, me semble-t-il, de se concentrer sur un objectif principal qui est, pour moi, l’évolution des savoir-faire professionnels et la dimension morale et psychologique de son sujet. Et en cela, l’ouvrage de Cédric Mas m’a particulièrement intéressé car cette approche est rare. En la matière, les historiens ont la chance de bénéficier de la correspondance abondante de Rommel avec son épouse.
Ce travail synthétique nous propose donc une analyse bien intéressante de l’évolution d’un officier de carrière allemand de la première guerre mondiale à la seconde, sans aucune complaisance sur son engagement envers Hitler, les crimes de guerres qui lui imputables et son rôle dans le complot de juillet 1944. Bref, on est loin des clichés habituels servis sur Rommel depuis Desmond Young ou Sir Basil Liddell Hart. On peut d’ailleurs regretter l’absence d’un chapitre qui eut été passionnant sur la « légende du Renard du Désert » tant pendant la guerre que durant la Guerre Froide.
A la lecture des événements, et Cédric Mas, le confirme, on a quand même, avec Rommel, un officier de talent qui a évolué dans son métier d’officier subalterne à supérieur capable de commander bien au delà d’un simple régiment… Si Rommel ne s’élève pas au niveau d’un Manstein, c’est quand même un officier supérieur de valeur avec certes des faiblesses morales et psychologiques importantes. Je pense que, comme beaucoup d’autres lecteurs, je retiendrai avant tout son rôle, risqué, à la tête de la 7ème Panzer Division durant la campagne de France et ses fulgurances, toujours aussi risquées mais souvent victorieuses durant la guerre du Désert. Bref, pas seulement un tacticien, le Rommel ! Non mais !
Sur la forme, j’aurais aimé en savoir plus sur la participation de Daniel Feldmann, wargamer et critique d’ouvrages bien connu et je formule une critique personnelle: je pense que l’art de la biographie nécessite un mode d’écriture plus fluide que la relation habituelle des faits de guerre. Un domaine à travailler par l’auteur selon moi.
A noter, l’abondance de cartes (15) plutôt lisibles. Ce qui n’est pas toujours le cas chez Economica !
Bref, une lecture recommandée pour ma part ! C’est quoi le prochain ? 😉
Aux éditions Economica en janvier 2014. 168 pages. En vente sur le site de l’éditeur.
Merci de cette critique positive.
Globalement et à ce stade, je pense qu’il y a un malentendu sur le « produit », dont je suis le premier responsable en ayant laissé passé le terme « biographie » dans la 4ème de couverture.
En effet, si le livre est court, cela m’a permis de me concentrer sur la structure et l’analyse. Il n’y a pas eu de coupe mais un effort (et un gros travail) sur la synthèse. Soyons clair, par rapport à la plupart, la carrière de Rommel est très « simple » (deux unités et 3 campagnes en 14-18, 4 unités et 3 campagnes entre 39 et 45. Elle peut donc être « traitée en 100 pages sans soucis.
Cela permet de rédiger ce qui n’est peut-être pas une biographie détaillée, mais plutôt une « biographie analytique », où les analyses sont privilégiées par rapport aux descriptions. le but est de permettre de se faire une opinion sur un personnage et non de tout connaître de sa vie (ce qui n’est d’ailleurs pas possible). D’où le style moins « romancé », mais plus direct et efficace, qui est pointé ici.
Cela donne un résultat pour moi intéressant : un livre « lisible » du début à la fin en peu de temps, dans lequel les informations sont hiérarchisées, synthétisées et surtout analysées. De surcroît, comme David Zambon l’a souligné, la concision donne du rythme et facilite la mémorisation des points clés.
Dans la tendance actuelle à sortir de « gros pavés » indigestes où tout est balancé en vrac sans aucun effort de sélection et de hiérarchisation des informations et des sources, je crois sincèrement dans ce format « épuré », même s’il ne s’agit pas d’une « vraie » biographie, qui n’ont trop souvent pas de vraie conclusion d’ailleurs.
J’ai la faiblesse d’espérer que ceux qui ont lu le Lemay et ce livre réaliseront qu’en moins de 170 pages, ils en ont plus appris sur Rommel, en tant que chef de guerre et homme, son style de « leadership », ses qualités, ses défauts, qu’en 600 pages (je laisse de côté l’aspect plagiat), outre les développements sur le contexte dans lequel il combat : armée allemande pré-14, entre 14 et 18, Reichswehr, Afrique, Campagne de Normandie…
Là serait ma seule récompense.
Merci en tout cas pour le coup de main.
Et à bientôt pour la prochaine « biographie analytique », sur Monty…
CM
Cédric,
Je suis bien en phase là dessus comme tu as pu le lire dans ma recension: une étude, bien intéressante, de la carrière et de l’évolution d’un officier au cours d’une période très riche en mutations politiques, doctrinales et technologiques autour de la guerre. En cela, cet ouvrage est exemplaire selon moi et je trouve particulièrement intéressant que tu t’attaques désormais à Monty qui mérite bien le même traitement ! Ajoute, si tu peux, un chapitre sur l’historiographie. Tu devrais d’ailleurs, sur Rommel, dispenser un article, qui serait passionnant, dans l’une de nos revues préférées d’histoire militaire !
Bref, en matière d’histoire aussi, ce n’est pas celui qui a la plus grosse qui a raison ! 😀
Une recension intéressante :
http://guerres-et-conflits.over-blog.com/2014/02/héros-en-demi-teinte.html
CM
Quand tu dis :
« Bref, pas seulement un tacticien, le Rommel ! Non mais ! »
Le colonel Porte répond « tacticien ++ » mais pas stratège.
Amusant… 😉
Aucun problème sur le « pas stratège ». Personne n’avait la main sur ce niveau là en Allemagne. Mais y a quand même quelque chose entre la tactique et la stratégie… 😀
Finalement on s’est mis d’accord avec le colonel Porte: au mieux, opérationnel niveau armée. Et bien ça me va très bien… c’est quand même mieux que le niveau de colonel estimé par certain(s), hein ! 😀
J’ai trouvé la recension de l’oeuvre fort intéressante sur le lien de « guerres et conflits », et me donne encore plus envie de la lire. Il n’est pas évident de nos jours de trouver des écrits qui ne soient pas à « charge » dans un sens comme dans l’autre. Ce livre-ci me semble essayer d’avoir un regard objectif sur l’homme sans passion ni mépris. Si j’ai bien saisi, c’est ce que l’auteur souhaitait exprimer au travers de la carrière militaire de Rommel, de manière à ce que le lecteur puisse, seul, se forger sa propre opinion. N’est ce pas finalement ce qu’on attend de ce type d’analyse?
Oui c’est un format d’étude qui est bien balancé, au sens de neutre. on évite le « pro Rommel bias » ou le « Rommel bashing » ! 😉