La campagne d’Egypte est sans doute l’une des plus grandes bizarreries militaires du 18e siècle. Une campagne, loin de ses bases, à l’autre bout de la Méditerranée dominée par la marine de guerre britannique, au coeur de l’Empire Ottoman, et au sein d’une société musulmane, quelle gageure ! Elle annonce les conquêtes coloniales européennes du 19e siècle. Elle est le fait de la jeune république française avec ses valeurs et doctrines issues des « Lumières » confrontée au pouvoir local des Mamelouks, à l’empire ottoman et aux Britanniques. Bref, exotique à souhait. Evidemment, l’un de ces intérêts majeurs est d’avoir été commandée par un jeune général de 29 ans en plein ascension, Napoléon Bonaparte.
Je possède déjà mal d’ouvrages sur le sujet dont je distingue bien volontiers:
- ceux de Robert Solé et particulièrement « Bonaparte à la conquête de l’Egypte » aux éditions du Seuil en 2006
- et encore et toujours, Jacques Benoist-Méchin et son « Bonaparte en Egypte ou le rêve inassouvi » maintes fois ré-édité !
L’ouvrage de Juan Cole présente trois intérêts majeurs:
- il est le fruit du travail d’un professeur d’histoire de l’université du Michigan, spécialiste du Moyen-Orient et qui maîtrise les sources arabes
- si l’ouvrage restitue bien les faits, il met particulièrement en valeur la rencontre de deux mondes bien différents, l’Europe des « Lumières » et le monde musulman, que ce soit au niveau des élites ou au niveau des acteurs de terrain. C’est bien là l’intérêt principal de l’ouvrage.
- il met en lumière les contradictions entre les idéaux de la Révolution et le comportement du commandement et de la troupe dans une guerre finalement de conquête avec ses réquisitions, contributions et exactions. Le titre américain de l’ouvrage « Napoleon’s Egypt. Invading the Middle East » n’est pas sans nous rappeler les guerres américaines récentes d’Irak et d’Afghanistan… car on a bien, à la fois, une guerre conventionnelle doublée d’une situation insurrectionnelle / contre-insurrectionnelle tant dans les villes que contre les tribus de bédouins sur les lignes d’approvisionnement françaises…
Dans les aspects plus négatifs de l’ouvrage, on sent que l’auteur ne porte pas Bonaparte dans son coeur, sa critique étant cependant souvent justifiée. Mais de là à voir dans l’expérience égyptienne les sources du pouvoir « absolu » et de la pompe impériale du futur empereur, c’est quand même par trop exagéré.
J’ai également regretté que l’ouvrage se termine sur le départ de Bonaparte d’Egypte, les commandements de Kléber et de Menou auraient mérité d’être pris en considération.
Au final, on a un ouvrage bien complet sur son sujet, bien écrit et aux sources très variées. On notera un hommage très régulier rendu à des historiens français tels que Henry Laurens ou André Raymond, par exemple.
L’ouvrage comporte un cahier de gravures couleur et n/b et des notes abondantes en fin d’ouvrage. La bibliographie est insérée dans les notes. Par contre, il n’y a qu’une seule carte, ce qui est largement insuffisant.
Bonaparte et la république française d’Egypte. De Juan Cole. Aux éditions de La Découverte en août 2014. 332 pages.