Un trés bon moment de lecture.

J’avais vraiment apprécié l’ouvrage précédent que Benoît Rondeau avait consacré à l’Afrika Korps. Originaire de la Normandie, il nous propose ici un ouvrage sur le Débarquement et la bataille de Normandie de juin et juillet 1944.

Evidemment, il existe déjà beaucoup d’ouvrages sur le débarquement des Alliés sur les plages Normandes en 1944. De cette bibliographie importante, je ressors volontiers:

Devant une pléthore d’ouvrages disponibles, Benoît Rondeau a pris l’angle d’attaque de traiter le sujet du point de vue allemand, reprenant là ce qui avait fait le succès d’édition de Paul Carrell dans les années 1975 avec son célèbre « Sie kommen – Ils arrivent« . Un texte certes biaisé et daté mais qui a apporté un éclairage unique à l’époque sur le point de vue des combattants d’en face.

Benoît Rondeau aborde donc son sujet par le même angle d’attaque mais avec les connaissances actuelles et sans complaisance pour l’un ou l’autre belligérant; ce qui n’était clairement pas le cas de Paul Carrell, il y a près de 40 ans.

Et bien cet ouvrage est une vraie réussite. Car il fait, de manière très vivante, le point sur les clés essentielles de l’ Invasion vécue du côté allemand:

  • les Allemands étaient conscients qu’un front allait s’ouvrir en France
  • la fortification des côtes et la préparation des troupes étaient engagées mais le poids de la guerre à l’est ralentit les travaux et ponctionna régulièrement les moyens disponibles pour faire face à l’invasion
  • la troupe, si elle restait motivée et idéologiquement très engagée (particulièrement les Waffen SS et les parachutistes), manquait d’effectifs, d’équipement (armement et mobilité) et d’entraînement
  • si le commandement restait de qualité, les strates superposées et la « gestion serrée » de Hitler allaient mener à des analyses « courte vue », faussées tant sur le lieu ou les lieux visés que sur la compréhension de l’adversaire ou même sur la stratégie à adopter pour défaire l’opération alliée. Il est à noter que sur ces deux points, il faudra que la bataille de Normandie soit bien engagée avant que les Allemands ne comprennent le potentiel allié et que la Normandie n’était pas une « diversion »…
  • le rôle du terrain: si les moyens de débarquement alliés ont été une vraie surprise, les Allemands ont utilisé au mieux le terrain pour contenir longuement les poussées alliées: bocage, villes et villages. A noter aussi tant la souplesse de l’organisation en groupes de combat que le moral de la troupe (et pas seulement celui des unités d’élite) qui va rester élevé et impressionner les Alliés
  • il y a eut également l’incapacité stratégique et opérationnelle à monter une opération qui pouvait réellement basculer l’issue en faveur des Allemands: il y a à là un vrai échec du commandement.
  • l’importance des difficultés de transport, de transfert d’unités et de la logistique de la Wehrmacht est également bien soulignée. Ça ne suivait clairement pas. L’auteur aurait peut-être pu insister sur le rôle de la Résistance en ce domaine mais ce n’était pas l’axe central de l’ouvrage.
  • on est impressionné également par l’importance des moyens alliés engagés particulièrement en ce qui concerne l’impact de l’artillerie alliée, qu’elle soit navale ou terrestre, et le rôle joué par l’avion d’attaque ou sol ou de bombardement qui, au delà de son efficacité directe, géna considérablement les combattants et la logistique.

Benoit Rondeau n’oublie pas de nous proposer, en contrepoint, l’essentiel des efforts faits par les Alliés bien évidemment.

Mais c’est aussi sur le style que cet ouvrage présente un intérêt majeur car si l’auteur navigue régulièrement du niveau du combattant à celui des généraux dans leur QG, il le fait dans un style d’écriture vivant et particulièrement efficace. Pour tout dire, j’y ai retrouvé un mix de Paul Carrell pour l’angle de vue, de Cornelius Ryan (Le jour le plus long) ou d’un Anthony Beevor pour le récit. Bref, un style qui veut faire ressentir les doutes, les angoisses, la dûreté des combats, l’omniprésence de l’aviation alliée, le vent de l’échec. Bref, l’auteur nous immerge dans les événements comme ont su le faire avant lui ses devanciers de référence cités plus haut.

J’avais précédemment souligné  que l’auteur fait appel dans ses notes à des témoignages recueillis par Paul Carrel mais aussi par des auteurs d’articles dans les revues d’histoire militaire. Ces emprunts sont fréquents et j’entends déjà quelques machoires grincer quand ils verront les références aux écrits de Paul Carrel mais aussi de Georges Bernage ou d’Yves Buffetaut. Benoît Rondeau prend ici le risque de se faire désavouer par quelques historiens patentés ! Pour ma part, je le soutiens dans cette démarche qui, si elle est osée, n’en est pas moins une preuve de respect pour le travail réalisé par ces auteurs durant les 40 dernières années. Référence aux témoignages n’est pas reconnaissance ni des thèses ni de la narration des dits auteurs.

Si on ajoute à tout ça, huit bonnes cartes dans le texte, des notes abondantes, une belle bibliographie , des annexes utiles et un index des noms et des lieux, j’ai là, pour moi et avec la biographie de Joukov par Lopez/Othkmezuri, l’un des ouvrages les plus intéressants que j’ai lu ces six derniers mois. Evidemment, j’en recommande bien évidemment la lecture à l’aube du 70ème anniversaire de la bataille de Normandie.

En fait, pour tout dire et pour le lecteur que je suis depuis plus de 40 ans, je me dois de reconnaître que la scène d’histoire militaire française est particulièrement active et de qualité en ce moment. Ce qui m’enthousiasme !

Invasion ! Le Débarquement vécu par les Allemands de Benoît Rondeau aux éditions Tallandier en mars 2014. 446 pages.



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